La critique rรฉcurrente de ceux qui s’efforcent d’examiner la sociรฉtรฉ guinรฉenne, pleine de contradictions, en dรฉplorant ses absurditรฉs et les malรฉdictions qui l’accablent, est la suivante : ยซย la pyramide renversรฉeย ยป.
Cette expression peut signifier autant l’inversion des valeurs que la prรฉtention des ยซย nulsย ยป ร se prendre pour des gรฉnies, ou encore l’ambition d’illustres anonymes ร se hisser au sommet, quitte ร รฉtaler sur la place publique les secrets de famille bien gardรฉs d’une รฉducation manquรฉe. Cette รฉducation ratรฉe se traduit souvent par un dรฉsert intellectuel ou une dรฉchรฉance morale. Chacun demeure l’ambassadeur des siens et responsable de tout ce qui lui arrive. Comme on ne peut s’inventer une vie, on ne peut se fabriquer une destinรฉe.
La bรชtise, de gรฉnรฉration en gรฉnรฉration, procrรฉe et s’assure d’avoir de dignes hรฉritiers. Quant ร la chance, elle ne sourit pas ร tout le monde et se glorifie de rester le domaine rรฉservรฉ des ยซย รฉlus de Dieuย ยป, que les mรฉcrรฉants aiment, bien sรปr, combattre et vilipender ร longueur de journรฉe, afin de ne pas mourir de leurs frustrations et rancลurs profondes. Chacun exorcise ses dรฉmons comme il peut.
Il est drรดle que l’histoire des grands hommes soit รฉmaillรฉe de caricatures et que leur destin commun soit de subir calomnies, envie, haine et jalousie, bref, d’รชtre accusรฉs de tous les pรฉchรฉs qui consument les hommes et dรฉshonorent l’humanitรฉ. C’est peut-รชtre la ranรงon de la gloire et le prix ร payer pour accomplir quelque chose d’exceptionnel, qui restera dans les annales de l’histoire et survivra au temps, rรฉputรฉ ingrat, alors que ce sont nos mรฉmoires qui flanchent, avec l’oubli que nous aimons parfois cultiver dans nos รฉlans d’ingratitude et nos dรฉnรฉgations. Dieu lui-mรชme, maรฎtre des horloges et dรฉpositaire de chaque destin, n’est pas plรฉbiscitรฉ par tout le monde. Les hommes publics, eux, n’ont pas ร se plaindre d’รชtre les souffre-douleur de certains et la ยซย poubelleย ยป oรน chacun voudrait jeter ses ordures. Taleyrand a raison, d’affirmer, lui qui fut souvent brocardรฉ : ย ยป il y a une chose plus terrible que la calomnie, c’est la vรฉritรฉ !โ
Les cabales n’ont jamais rien changรฉ ร leur histoire ni compromis leur avenir. L’humour n’a jamais fait de mal ร personne et aide mรชme souvent ร pardonner les offenses gratuites et ร excuser les parias et les mรฉchantes personnes. C’est mieux de rire de certaines situations ubuesques que de s’en offusquer, en gardant ร l’esprit qu’il faut un peu de tout pour faire un monde, et que ยซย l’ignorance hurle toujours avec arroganceย ยป. Des individus qui n’ont rien de mieux ร faire que de raconter la vie des autres, aussi remplie que la leur est vide, seraient-ils ceux-lร , nรฉs sous une bonne รฉtoile, gรขtรฉs par le sort ? รtre toujours dans l’antichambre, rรฉduit ร jouer des rรดles domestiques, ร dรฉfendre l’indรฉfendable, justifier l’injustifiable, ร faire du racolage et du bricolage d’insanitรฉs ร revendre, confรจre-t-il plus d’honneurs et de gloire que d’affronter l’รฉpreuve du feu, d’รชtre sous les projecteurs et d’avoir un parcours singulier ?
Ce n’est pas de tomber qui est un malheur, mais de ne jamais se relever qui est une malรฉdiction. Toutefois, pour tomber, il faut d’abord avoir eu la chance de s’รฉlever. Du reste, tout ce qui vit, meurt, aussi bien les rรฉgimes que les hommes. Comme le rappelle le philosophe : ยซ Tout ce qui naรฎt, grandit et meurt. ยป II n’y a que les sots qui croient en l’รฉternitรฉ et attendent que le sort dรฉcide pour eux.
Il faut se rรฉjouir d’รชtre blรขmรฉ et dรฉtestรฉ par ceux qui n’ont pas une voix qui porte et que personne ne prend au sรฉrieux, plutรดt que d’รชtre interpellรฉ par des notabilitรฉs รฉtablies et des rรฉfรฉrences dans la sociรฉtรฉ. Les grandes causes rencontreront toujours des esprits mesquins et malveillants, tout comme certaines vรฉritรฉs seront toujours insupportables ร des consciences chargรฉes.
Tous ceux qui ont accรฉdรฉ aux plus hautes marches du pouvoir, se sont illustrรฉs ร leur รฉpoque, ont marquรฉ les esprits de leurs contemporains, se sont vus affublรฉs d’รฉpithรจtes sordides et n’ont pas รฉchappรฉ aux affabulations les plus grotesques. Ce n’est pas parce qu’on marche sur la tรชte qu’on est forcรฉment daltonien, incapable de distinguer le vrai du faux, le bon du mauvais, et enfin la chance de la poisse. Le plus chanceux des poisseux vaut mieux que le plus poisseux des chanceux.
Et si la chance รฉtait d’รฉchouer en tout et de ne parvenir ร rien, d’รชtre malheureux de voir meilleur et plus mรฉritant que soi ? Beaucoup revendiqueraient d’รชtre chanceux ร ce jeu de ยซย qui perd gagneย ยป. Les destins fabuleux sont les plus compliquรฉs, et les hommes chanceux sont les plus enviรฉs de ceux qui ne le sont pas toujours.
Cherchez votre chance, vous ne serez pas poisseux ! Ah, jโoubliais : votre futur est dรฉjร derriรจre vous, votre prรฉsent vous a effacรฉ ร jamais, ร moins que vous nโayez creusรฉ votre propre tombe de votre vivant.
Depuis toujours, lโhistoire du pays est jalonnรฉe dโรฉpreuves et de tragรฉdies, comme rรฉcemment encore, tandis que les dirigeants se succรจdent au sommet de lโรtat. Faut-il incriminer les hommes ou y voir lโลuvre de Dieu ? Seule la foi de chacun peut apporter une rรฉponse.
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